L’ANL a-t-elle sa place dans les instituts français?
Comme tout enseignant curieux et ouvert à la nouveauté, je suis toujours en recherche d’amélioration et d’innovation à apporter à mes pratiques de classe. Depuis longtemps déjà, cette curiosité me pousse à ouvrir les portes d’autres écoles de langues et d’autres instituts avec l’idée d’y découvrir des regards neufs sur la manière d’enseigner.
J’y ai d’abord rencontré l’approche actionnelle prônée par Ernesto Martín Peris et, avec elle, la nécessité de mettre la parole avant l’écrit au cœur de la classe, de favoriser les échanges entre apprenants et les laisser « co-construire » leurs savoirs et échanger leurs astuces pour appréhender des langues, de savoir se démarquer des activités classiques proposées en classe pour amener l’apprenant à davantage de prises de parole et d’implication active dans le cours et dans son apprentissage, et d’amener l’apprenant vers une autonomie.
Repenser l’implication de l’apprenant passait nécessairement, aussi, par une redéfinition du rôle d’un professeur, et tout particulièrement de la préparation de ses cours. Pour un professionnel de l’enseignement consciencieux, la partie préparatoire de son travail est souvent égale, voire supérieure – et même souvent – largement supérieure au temps effectif passé en classe. Pensons à la recherche de documents adaptés aux thématiques étudiées en classe, au travail de mise en forme des documents proposés aux apprenants, à la mise au point de diverses activités proposées (vrai/faux, QCM, compréhension globale, compréhension détaillée, activités autour du lexique ou de la grammaire, sujet de discussion/argumentation, etc.) : les outils conventionnels de la pédagogie sont indéniablement chronophages… et, à la réflexion, contre-productifs pour l’apprenant. Quelle compétence en français « cocher dans une case » saura-t-il lui apporter? Quelle est la part d’efficacité de ces pratiques? Pourquoi fonder toutes nos activités pédagogiques dans une optique d’évaluation avant de leur apprendre à développer efficacement leur maîtrise du langage?
J’étais déjà convaincue de la nécessité d’une remise en question de nos pratiques, et c’est alors que l’Approche Neurolinguistique est apparue sur ma route, proposant une voie concrète, rigoureuse, structurée, exigeante (aussi bien pour l’enseignant que pour l’apprenant) et, dans le même temps, créative. Cette approche a aussi l’intelligence de prôner une flexibilité adaptée au niveau de l’apprenant. En cela, elle annihile l’écueil du manuel dont le contenu, pensé pour un public homogène idéal, est, à la fois, paradoxalement, un support et un obstacle pour le professeur. La démarche de l’ANL, surprenante pour des apprenants, en particulier les captifs, habitués, oserai-je le dire, à s’ennuyer en classe, pique leur curiosité et les enthousiasme. La dynamique de classe change, l’implication des apprenants est sensible. Même si je ne suis qu’au début de cette aventure, je pense qu’elle nous apportera de riches expériences d’enseignement.
Voici concrètement quelques points essentiels pour bien comprendre le cadre théorique fondé par deux didacticiens canadiens, Joan Netten et Claude Germain.
Le cœur de l’apprentissage des langues est le développement de la littératie. Par littératie, on entend la capacité d’une personne à utiliser la langue et à l’utiliser correctement plutôt qu’à accumuler une somme de connaissances métalinguistiques. En effet, les fondateurs de l’Approche Neurolinguistique ont été frappés par ce constat fait par un autre chercheur canadien en neurosciences, Michel Paradis, selon lequel « le savoir ne se transforme pas en habileté ». Autrement dit, l’accumulation de connaissances sur la langue n’est pas une garantie du développement de sa maîtrise effective de la langue : l’érudition linguistique ne mène pas à la compétence linguistique.
De ce fait, ils distinguent deux types de mémoire : procédurale et déclarative (l’une est de l’ordre de l’acquisition et l’autre, de l’ordre de l’apprentissage). Ce distinguo, ancien en didactique des langues, leur permet d’affirmer la primauté de l’oral sur l’écrit et les conduit à prôner un enseignement basé sur une pédagogie de projets mettant les apprenants en situation où ils ont à utiliser la langue tel qu’ils le feront en milieu francophone. Les composantes linguistiques doivent être intégrées de la manière la plus authentique possible dans des messages se basant sur le vécu des apprenants, et c’est à l’enseignant d’insister sur la dimension d’usage sociale de la langue.
Parmi les choix méthodologiques prônées par l’ANL, ceux qui retiennent plus particulièrement notre attention sont, bien évidemment, ceux qui vont – parfois – à l’encontre de nos pratiques habituelles.
Ainsi, le postulat de départ sur la mémoire suppose d’introduire peu de nouvelles structures à la fois. Dans une boucle, il s’agit de ne proposer qu’une seule structure avec un minimum de lexique, de manière à ce que les apprenants l’utilisent vraiment et se l’approprient pleinement. C’est l’étape de modélisation, initiée par le professeur et déclinée par les élèves. La tolérance à l’erreur est nulle : l’apprenant aura à reprendre ses énoncés autant de fois que nécessaire, avec l’aide de ses camarades et du professeur si besoin. En matière de communication, la qualité vaut mieux que la quantité; une phrase courte mais correcte plutôt qu’un discours verbeux et confus. L’objectif assumé est de limiter, d’empêcher si possible, la fossilisation d’une syntaxe défaillante qui devient, sur le long terme, impossible à corriger et, au final, problématique pour la communication.
Ce qui est ressorti, d’ailleurs, de la mise en situation de l’ANL que j’ai vécue, c’est que nos manières traditionnelles d’aborder l’apprentissage sont toutes basées sur des démarches d’évaluation : les questions de compréhension orale et écrite partout en usage mettent l’apprenant dans une situation d’échec dès lors qu’il n’a pas « la bonne réponse ». Or, avec l’ANL, on est toujours situé dans une perspective de construction du sens au sein d’un échange communicatif. Exit, donc, tous les QCM ou autres exercices du même type qui ne permettent pas de développer la littératie.
On comprendra alors à quel point cette approche demande un savoir-faire pédagogique impliquant patience et mesure, et un engagement actif de la part de chacun, ainsi qu’une sérieuse remise en question de la vision qu’on se fait couramment de l’apprentissage d’une langue – de la part de l’enseignant… mais aussi des apprenants. Pourtant, lors du stage que j’ai suivi (et qui était loin de démoraliser les participants), cette approche exigeante et dynamique a séduit les profs autant que les apprenants qui l’ont découverte en même temps que nous! Preuve s’il en fallait que cette expérience a sa place dans nos institutions et y trouvera un public.
Christelle Veloso
Institut français du Japon – Yokohama