Apprendre à parler une langue avec l’Approche Neurolinguistique, par Lyne J. Montsion

Par Lyne J. Montsion

Conseillère spécialisée en français langue seconde, anciennement responsable des programme de FLS pour le Ministère de l’Éducation du Nouveau -Brunswick et Presidente du Intensive French National Steering Committee.

Article originellement publiée dans la revue CASLT-ACPLS (Association canadienne des professeurs de langue seconde) du mois de mai 2018. Dans cet article, le masculin est utilisé à titre épicène.

Depuis l’adoption de ces stratégies dans les salles de classe du Nouveau- Brunswick, en mettant l’accent sur l’acquisition d’une grammaire implicite pour parler, et en incorporant des notions de grammaire explicite, en contexte, pour lire et écrire, nous avons observé une motivation accrue chez les apprenants face à leur apprentissage d’une langue seconde. En plus d’une motivation plus élevée, nous avons par ailleurs remarqué des retombées importantes sur l’estime de soi et le sentiment d’accomplissement de nos élèves. Quels que soient le programme ou la langue cible, ce changement de paradigme incontestable a transformé le domaine de l’enseignement et de l’apprentissage des langues de nos jours.

Vous avez déjà tenté d’apprendre une nouvelle langue en étudiant sa grammaire ? Si vous en avez fait l’expérience, vous n’avez probablement connu qu’un modeste succès, ou peut-être pas du tout. La raison en est que les récentes recherches sur le cerveau et l’acquisition du langage démontrent que le savoir (telle la connaissance des règles de grammaire) se situe dans notre mémoire déclarative, alors que les habiletés (comme parler sans effort et sans analyser chaque mot, ainsi que nous le faisons dans notre langue maternelle) se situent dans notre mémoire procédurale. Somme toute, nous n’avons pas besoin d’une grammaire explicite pour apprendre à parler une langue, nous avons besoin d’une grammaire implicite. (Netten & Germain, 2012). Pour développer cette grammaire implicite, ou grammaire interne, l’approche neurolinguistique (ANL), conçue par les professeurs Joan Netten et Claude Germain pour le programme de français intensif, offre une série de stratégies bien précises. Elles se retrouvent maintenant au sein des pratiques exemplaires reconnues en enseignement des langues. En plus du français intensif pour lesquelles elles ont été mises au point, elles sont aujourd’hui incorporées à divers degrés dans d’autres programmes de langue seconde comme le français de base (qui n’existe plus au Nouveau- Brunswick mais qui bat son plein dans maintes autres instances), et le programme d’immersion. Ces mêmes stratégies servent également à l’enseignement et à l’apprentissage d’autres langues, par exemple les langues autochtones, l’anglais, l’espagnol, etc. Jetons donc un bref regard sur leur fonctionnement, en gros.

D’abord, quelques considérations fondamentales : toutes les tâches langagières doivent être authentiques, c’est-à-dire utilisées à des fins de communication réelles. Pas de dialogues mémorisés ni « pratiqués ». La langue sert de moyen de communication et non d’objet d’étude. Alors, un enseignant voulant amener ses élèves à parler de leurs animaux familiers, par exemple, commencerait d’abord

par modéliser dans la langue cible. Il dirait quelque chose comme ceci (version abrégée) : « J’ai un chien ; il s’appelle Charlie. Mon frère a une chatte ; elle s’appelle Rouquine. Mon amie n’a pas d’animal familier. Et toi (nom d’un élève), as-tu un animal familier ? » Ceci offre un modèle langagier que les élèves peuvent réutiliser à leurs propres fins authentiques pour répondre à la question « As-tu un animal familier ? ». Commencer directement par la question offrirait peu de chances de succès à l’élève qui ne saurait y répondre sans modèle préalable. Il faut aussi s’assurer de bien inclure un modèle à la forme négative, car certains élèves n’auront pas d’animaux familiers.

L’enseignant répétera le modèle autant que nécessaire pour que les élèves le maîtrisent. Il posera la même question, et se servant de la même structure, à une bonne partie des élèves de la classe (disons un tiers), au hasard. L’interaction se doit de demeurer imprévisible, de sorte que les élèves ne puissent pas

« s’attendre à leur tour ». Il peut arriver n’importe quand, donc ils doivent demeurer très attentifs aux réponses des autres élèves, lesquelles servent également de modèle. L’enseignant insistera pour que toutes les réponses soient correctes et en phrases complètes. Cet aspect est crucial, car c’est ainsi que se développent des « patterns » dans le cerveau, et ces patterns doivent être corrects. Plus un élève réutilise une structure langagière, plus le pattern se développe. Comme on n’acquiert aucune aisance à l’aide de mots isolés, les phrases complètes s’avèrent essentielles au développement d’une grammaire interne. C’est ainsi que, plutôt que d’avoir à mémoriser une liste de vocabulaire des animaux familiers (ni pertinente, ni authentique), les élèves apprendront à utiliser la phrase « Comment dit-on… ? » Par exemple, pour répondre à notre question « As-tu un animal familier ? », un élève pourrait dire : « J’ai… comment dit-on a turtle ? » L’enseignant fournirait alors le mot recherché (une tortue) et demanderait à l’élève de reprendre toute la phrase en incorporant le nouveau mot : « J’ai une tortue ».

Pour corriger une erreur, l’enseignant remodélisera une réponse correcte, et demandera à l’élève de reprendre de nouveau sa phrase. Il se peut qu’un élève ait besoin de réentendre et de reprendre le modèle à quelques reprises avant de pouvoir s’en servir correctement. Ici, l’enseignant doit faire preuve de jugement

professionnel pour éviter tout sentiment de frustration ou d’embarras chez l’élève. Lorsqu’il est possible de le faire (par exemple avec un groupe de langue maternelle homogène) une explication au début du programme contribuera grandement à alléger de possibles sentiments négatifs. Une atmosphère chaleureuse et amicale est primordiale, car les apprenants doivent se sentir bien à l’aise de commettre des erreurs et d’être corrigés, comprenant que ceci fait partie du processus d’apprentissage.

Après s’être assuré qu’un bon nombre de ses élèves peuvent répondre correctement à la question, l’enseignant demandera à l’un d’entre eux de la poser à un camarade de classe, qui y répondra et devra la poser à une tierce personne, et ainsi de suite. Il existe plusieurs façons de voir à ce que les mêmes élèves ne parlent pas toujours : employer de bâtonnets de bois avec les noms des élèves, lancer une balle à quelqu’un, demander de poser la question à quelqu’un portant du rouge aujourd’hui, etc.

Lorsqu’il croit qu’une bonne partie de ses élèves peut poser la question et y répondre, l’enseignant leur demandera de trouver un partenaire et de reprendre la démarche. Ceci leur offrira une autre occasion de réutiliser les mêmes structures langagières, ce qui en renforcera le pattern dans leur cerveau. Avec les plus jeunes ou les tout débutants, on recommande de demander à deux élèves de modéliser le processus devant la classe, l’enseignant veillant à l’exactitude du modèle. L’aisance et l’exactitude sont les pierres angulaires de l’approche neurolinguistique. Afin d’éviter que les élèves ne commencent à converser dans leur langue maternelle, ce qui serait contreproductif, l’enseignant n’accordera que quelques minutes, voire quelques secondes, pour que les élèves s’acquittent de la tâche. Lorsque la brève interaction en dyades aura pris fin, l’enseignant ramènera le groupe en plénière, et demandera, par exemple : « Martine, qui était ton/ta partenaire ? », ce à quoi Martine répondra : « X était mon/ma
partenaire ». « Ah bon, et est-ce que X a un animal familier ? » « Oui, X a un (chien, chat, hamster)… » ou « Non, X n’a pas d’animal familier ». Cette conversation ne devrait pas avoir lieu avec chaque élève mais plutôt, encore une fois, avec un nombre satisfaisant -et aléatoire- pour s’assurer que les structures et les bons termes aient été généralement maîtrisés. Cette séquence permet de plus aux apprenants d’élargir leur usage de pronoms et de possessifs (il/elle, son/sa/ses, etc.)

Pour maintenir l’attention des élèves, l’enseignant aura recours à une stratégie appelée « l’intention d’écoute ». Elle consiste à poser imprévisiblement, à un élève choisi au hasard ou stratégiquement, une question du genre « Jason, comment s’appelle le chien de Sarah, encore ? » Si Jason avait oublié ou était manifestement distrait, l’enseignant lui demanderait simplement de reposer la question à Sarah puis, une fois le mystère éclairci, de répondre « Le chien de Sarah s’appelle Jack ». Ainsi, personne ne peut y échapper, les réponses « je ne sais pas » ne sont pas suffisantes, et l’inattention est contrôlée sans devenir un problème de comportement négatif. Une fois cette étape complétée, l’enseignant renverra les élèves en nouvelles dyades, et on reprendra le tout pour renforcer encore une fois les structures.

Il est important de progresser au rythme des élèves, ni trop vite pour dépasser leurs capacités, ni trop lentement pour « s’éterniser » sur une structure facilement acquise. Le débit doit être à la fois engageant, cognitivement stimulant, et sécurisant. L’acquisition de la langue doit être un processus plaisant et amusant, où l’humour joue un très grand rôle. On cherche à déscolariser l’apprentissage, et les réactions de l’enseignant face aux réponses des élèves se veulent du genre « Vraiment? Ça, c’est comique! » plutôt que « Bravo, excellente réponse! »

Pour renforcer l’acquisition de l’oral et développer la littératie de façon équilibrée et complète, on boucle la boucle en enchaînant avec des activités de lecture sur le même sujet, ainsi que des activités d’écriture où les élèves en viendront à rédiger leur propre paragraphe sur leur animal familier ou sur celui d’un ami ou parent, s’ils n’en ont pas. Bien sûr, la lecture et l’écriture comprennent leurs propres stratégies particulières, incluant des phases de pré- lecture, lecture et post lecture, puis pré-écriture, écriture et post écriture, où la modélisation par l’enseignant occupe une place primordiale. Ces stratégies se retrouvent à travers une série d’unités toutes basées sur la pédagogie du projet et centrées sur les intérêts des élèves. Chaque unité se termine par un projet final, en vue duquel une série de 2 ou 3 mini-projets sont échafaudés. Il n’y a pas de « contenu » comme tel à couvrir; chaque unité sert plutôt de contexte et de prétexte pour acquérir la langue cible de façon authentique et enrichissante.

 

 

Références :

Netten, J. et Germain. C. “A new paradigm for the learning of a second or foreign language”. Neuroeducation – Volume 1, no. 1 (December 2012).

 

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